L’Histoire de l’orfèvrerie et de la joaillerie

Reportage et photos par Killian Barthélémy

Petrus Christus – L’orfèvrerie et le Jeune Couple (1449)

Orfèvrerie: L’orfèvrerie regroupe les activités de fabrication, de transformation et de restauration d’objets en métaux. Ils peuvent être destinés à l’ameublement, à l’art de la table ou aux cultes.

Joaillerie: La joaillerie est l’art qui consiste à concevoir des joyaux à l’aide de pierres précieuses. Elles viennent ornementer une monture en métaux précieux (or, argent, platine).

L’installation des nobles et des artisans dans le Marais.

L’orfèvrerie et la joaillerie ont toujours bénéficié, à Paris, centre politique, administratif et judiciaire, d’une clientèle de passage à fort pouvoir d’achat. Le roi, la reine et les princes consacrent une part importante de leurs dépenses en vêtements brodés et bijoux achetés à Paris. Les seigneurs aussi dépensent généreusement. Ils acquièrent des bijoux luxueux qui indiquent leur rang social, leur piété religieuse, leur richesse et leur puissance. Bientôt ils sont imités par les bourgeois, les financiers et les riches entrepreneurs. Au XIIIe, siècle les orfèvres parisiens bénéficient déjà d’une grande réputation. Ils occupent le Grand-Pont (aujourd’hui remplacé par le Pont-au-Change), à proximité de la Cour et du roi. Le nombre d’orfèvres allant croissant, le Grand-Pont devient rapidement trop étroit et l’implantation des artisans bijoutiers s’étend vers le nord. A cette époque l’orfèvrerie parisienne est la plus précieuse et la plus coûteuse d’Europe. Et tous les orfèvres parisiens sont aussi joaillers.

Au milieu du XIVe siècle, après la révolte des bourgeois menée par Etienne Marcel, le Roi Charles V décide de quitter le palais de la Cité. Il fait bâtir l’hôtel Saint-Pol à l’extérieur de la muraille de Philippe Auguste et décide de la construction d’une nouvelle enceinte. L’aristocratie s’installe à proximité de la demeure royale et fait bâtir de nombreux hôtels. Le plus considérable est l’hôtel des Tournelles, propriété de Pierre d’Orgemont, chancelier de France. C’est dans ce contexte que les orfèvres et joaillers gagnent le Marais. Mais l’épuisement des mines d’Europe centrale est synonyme de pénurie de métaux jusqu’au XVIe siècle. Lors de la conquête du Nouveau Monde, les Portugais et les Espagnols mettent la main sur d’immenses mines d’or et d’argent. L’or et l’argent d’Amérique du Sud inondent rapidement l’Europe. Certains artistes deviennent les protégés du Roi, parmi eux, le célèbre orfèvre florentin Benvenuto Cellini que François Ier fait installer à l’hôtel de Nesle. 

Mais le véritable essor de la bijouterie-joaillerie dans le Marais, intervient au XVIIe siècle. Selon le vœu d’Henri IV, sur l’emplacement de l’hôtel des Tournelles est bâtie la place Royale (devenue place des Vosges). Inaugurée en 1612, à l’occasion du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, elle est le vecteur d’une implantation nobiliaire mais également de financiers et entrepreneurs fortunés. De magnifiques hôtels particuliers (hôtels de Mayenne, d’Angoulême, d’Aumont, de Rohan…) sont édifiés à l’entoure. Suivant le déplacement de sa principale clientèle, les bijoutiers-joaillers s’y installent en nombre. Le Marais connait alors son âge d’or, il est le quartier le plus riche et le plus élégant de Paris.  Le XVIIe siècle, c’est aussi la période de la mécanisation pour l’orfèvrerie, l’usage du balancier, du mouton et du tour se généralise.

Etienne Delaune – Orfèvrerie parisien (1576).
Fonte, forme, ciselure puis vente de l'objet à un bourgeois à la fenêtre.

La fuite des nobles et l’arrivée d’une main d’œuvre étrangère.

Si le début du XVIIIe siècle voit la construction du plus splendide des hôtels particuliers du Marais, l’hôtel de Soubise, rapidement, le Marais connait un certain déclin social. Sous Louis XV (1715-1774), les joailliers de grand luxe, suivent la cour dans un mouvement vers l’ouest qui les amène place Vendôme, ainsi que dans les rues du Faubourg Saint-Honoré et du Faubourg Saint-Germain. Le Marais perd peu à peu son côté aristocratique et accueille désormais des financiers, des parlementaires, des avocats, des commerçants et même des artisans.

En effet, la principale conséquence du départ de l’aristocratie du Marais fut, paradoxalement, l’occasion pour les bijoutiers de se regrouper dans le quartier. La désaffection de la noblesse pour le Marais, puis les confiscations de la Révolution laissaient disponibles de nombreux hôtels particuliers qui furent investis par les artisans de la bijouterie-joaillerie. Une main d’œuvre immigrée des provinces et de l’étranger investit les communs, les combles et jusqu’aux étages nobles divisés non sans dégradations. Le Marais se densifie. 

Encyclopédie Diderot et D'Alembert – Atelier d’orfèvrere (XVIIIe). De gauche à droite : coulage du métal fondu dans une lingotiére, martelage sur l'enclume, mise en forme au marteau et finition d'une bordure de plat.

Les grandes maisons actuelles de la bijouterie-joaillerie naissent dans le Marais à cette époque. Outre les locaux disponibles, elles y trouvent tous les petits métiers (polisseuses*, graveurs*, brunisseurs*, sertisseurs*…) dont elles ont besoin dans les phases successives de leur fabrication. Par ailleurs, le quartier offre une main d’œuvre qualifiée et abondante. La possibilité de recourir à de la sous-traitance permet une gestion plus souple et plus économique que des embauches à titre permanent. Au milieu du XIXe siècle, le Marais compte 2017 établissements qui emploient 10 196 personnes. A l’Ouest, les Halles et l’alimentation, à l’Est, le Faubourg Saint-Antoine et les métiers du meuble, au Marais les métiers du bijou. 

De l’apogée au déclin, il n’y a qu’une crise.

La présence de tous les métiers spécialisés de la bijouterie fait du Marais une place prépondérante de la bijouterie-joaillerie. Epargné par les grandes percées haussmanniennes, le Marais le fut également par les expropriations qui les accompagnaient. Par ailleurs, faible consommatrice d’espace, l’activité du bijou réussit à s’accommoder des possibilités d’expansion limitées offertes par le quartier. En 1930, Paris regroupe 75% des fabricants du bijou or, 83% des fabricants d’orfèvrerie et 96%  des fabricants de joaillerie français. Le Marais bijoutier connait son âge d’or, la crise des années trente va y mettre un terme. Les conséquences sont dramatiques : entre 1932 et 1934, la joaillerie parisienne perd 90% de ses effectifs.

Après la Seconde Guerre mondiale, la profession s’industrialise. L’évolution des techniques cause des ravages, l’automatisation des montres amène la disparition de 85% des entreprises d’horlogerie du Marais. Couteuse, l’orfèvrerie rencontre la désaffection du public. Elle perd 90% de ses emplois. La bijouterie or, si elle résiste mieux, perd la moitié de ses artisans dans le second XXe siècle. La mécanisation du métier s’est accrue pour un meilleur rendement. Désormais la majorité des gestes sont réalisés à la machine, et le nombre d’artisans s’est considérablement réduit avec le temps. Le Marais qui fourmillait d’artisans, devient peu à peu un quartier résidentiel, plus chic, plus cher. Des familles aisées s’y installent, des étrangers y achètent un pied à terre pour leurs séjours à Paris.

Création par Lapparra

L’émergence de plus grandes entreprises pousse également les petits ateliers à fermer. Elles déménagent leurs ateliers en province, ceux du Marais, trop étroits, ne conviennent plus aux exigences de production. La main d’œuvre qualifiée suit cet exode. Les petits ateliers finissent de disparaitre sous l’effet de brusques variations de l’or. Quand celui-ci monte de façon soudaine, les commandes se raréfient, le travail avec. Les petits fabricants n’ont plus les moyens d’acheter cet or devenu trop cher. Devant l’accumulation des difficultés inhérente aux métiers du bijou les artisans, devenus âgés, qui cessent leur activité ne trouvent personne pour reprendre leur entreprise, le métier apparaissant trop incertain aux jeunes. 

Les métiers du bijou dans le Marais actuel.

En 1886, la ville de Paris, consciente de la nécessité de transmettre la richesse de son artisanat fonde l’Ecole Boulle, du nom du célèbre ébéniste du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, cette prestigieuse école supérieure des arts appliqués propose des formations très sélectives. Malgré cette transmission de savoir-faire, l’activité artisanale dans le Marais connait un important déclin et les métiers du bijou n’échappent pas à cette tendance. En effet, les artisans doivent faire face à la montée des prix de l’immobilier et à la multiplication des grossistes en bijouterie-fantaisie. Ne demeure qu’une poignée d’ateliers de grande qualité. Ces maisons prestigieuses, centenaires ou bicentenaires, perdurent parce qu’elles incarnent le luxe à la française dont elles sont les héritières. Parmi elles, la Maison Lapparra, orfèvre-argentier depuis 1893, qui occupe le 157, rue du Temple.

Atelier Lapparra, repousseur et polisseur en activité.

Spécialiste des arts de la table (vases, couverts, soupières, plateaux) et des trophées, les pièces Lapparra naissent dans l’esprit de ses dessinateurs, au crayon d’abord, au stylo numérique ensuite. Les gestes sont restés les mêmes: le repousseur donne leur forme aux éléments, l’orfèvre les sculpte et les assemble, le polisseur leur donne tout leur éclat. La clientèle est pour partie française mais davantage internationale. A son actif, Lapparra compte plusieurs réalisations de renom parmi lesquelles : la vaisselle du Roi du Maroc ou le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe. Elle a également travaillé avec les plus grands joailliers de la Place Vendôme.

Atelier Sodexor Guidomimoni, artisan à la lime et sol quadrillé.

Outre quelques orfèvres, les joailliers qui subsistent dans le quartier peuvent se compter sur les doigts d’une main. Sodexor Guidomimoni, créateur depuis 1962 et installé au 119, rue du Temple est l’un d’eux. La maison met en œuvre un savoir-faire unique et propose des bijoux sur mesure sur commande. Elle travaille étroitement avec un atelier à l’étage. Au sol de cet atelier on progresse sur un quadrillage en bois qui permet d’éviter que les chaussures ne ramassent les projections d’or. Spécialiste des pierres précieuses, les bijoux Mme Mimouni ont été portés par des premières dames africaines et des têtes couronnées. La clientèle témoigne à l’entreprise sa fidélité et la maîtresse de maison est fière de dire qu’elle a habillé les grands-mères, les mères puis les filles. Mais lorsqu’on l’interroge sur l’avenir de la joaillerie dans le Marais, elle répond, sceptique: « chaque année est une année de gagnée, chaque jour est une lutte ».

Polisseuses (joaillerie): Le polissage en bijouterie était un métier essentiellement féminin parce qu’il comprenait des opérations qui nécessitaient beaucoup de doigté et de dextérité. Les polisseuses ont longtemps symbolisé le Marais traditionnel : elles attachaient leurs cheveux sous un foulard de façon à éviter qu’ils ne se prennent dans les brosses circulaires qui venaient polir les métaux précieux.

Sertisseurs (joaillerie): Le sertisseur enchâsse et sertit les pierres précieuses. Armé d’une loupe, il s’applique à ajuster la monture du bijou aux mesures exactes de la gemme à insérer.

Brunisseurs (orfèvrerie): Le brunissage des métaux pour l’orfèvrerie s’effectuait à la main et consistait à frotter longuement les pièces à l’aide d’une pierre d’agate. Poli et brillant le métal obtenait un éclat incomparable.

Graveurs (orfèvrerie): L’activité du graveur vise à décorer l’objet en dessinant des caractères, en creux ou en relief, à l’aide d’outils très fins. Il est doté d’une véritable technique de l’art du dessin.  Ne pas confondre la gravure normalisée et semi-industrielle avec celle, authentique, d’un véritable artiste.

Prix de l'Arc de Triomphe par Lapparra et collier en or rose et pierres précieux précieux par Sodexor. 


 

Adresses utiles

Orfèvre: Maison Lapparra, 157 rue du Temple, 75003 Paris, tel : 01 42 72 16 20  http://www.lapparra.fr
Atelier Rouge-Pullon, 191 rue du Temple, 75003 Paris. http://www.rougepullon.com
Joaillier: Sodexor Guidomini, 119, rue du Temple, 75003 Paris. http://sodexor.com
Maison Paillard, 5 rue des Gravilliers, 75003 Paris. http://www.maisonpaillard.com
Gainier: Dardel Paris, 11 rue Portefoin, 75003 Paris. http://www.dardel.com

Sources

Ouvrages
V.ALEMANY-DESSAINT, Orfèvrerie française, Paris, Editions Baschet & Cie, 1988.
D. CHADYCH, Le Marais, évolution d'un paysage urbain, Paris, Parigramme, 2005.
L. SCORDIA, Le goût des bijoux, Du Moyen Âge aux années Art Déco, Paris, Perrin, 2013.
J. VIRUEGA, La bijouterie parisienne, 1860-1914, Du Second Empire à la Première Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 2004.

Articles
M. BIMBINET-PRIVAT, Le commerce de l’orfèvrerie à Paris au XVe siècle, structures et stratégie (1547-1589), Bulletin de la société de l’histoire de Paris, 1983. 
La France horlogère, Le quartier du Marais, août-septembre 1982.
Les métiers du bijou, Le quartier du Marais, février 1983.

Témoignages

Mme CASSET DE LA CHESNERAIE, Directrice artistique de la Maison Lapparra.
Mme MIMOUNI, Directrice de l’entreprise Sodexor Guidomimoni.

© Killian Barthélémy / parismarais.com 2015