Le duc de Richelieu

Le siècle des Lumières
La Régence, le Libertinage et le duc de Richelieu

Quand, le 9 septembre 1715, le corps de Louis XIV fut transporté à Saint-Denis, le peuple ne pouvait pas contenir sa joie. Il y eut une manifestation bruyante de fureur populacière dans la plaine Saint-Denis, avec un mélange de chansons, de cris et d’injures dirigés vers le cortège funèbre comprenant le corbillard qui contenait le cadavre royal tiré par de grands chevaux noirs caparaçonnés de noir. Comme le rapporta Voltaire, « on y buvait, on y chantait, on y riait », comme dans toute la capitale libertine où se multipliaient les spectacles, les bals, les conversations dans les salons et les visites des bordels. Comme le note Didier Foucault : « L’aristocratie libertine a relevé la tête ; elle ne la baissera plus avant 1789.»

Le siècle des Lumières fut celui du libertinage effréné qui s’exerçait surtout au sommet et eut pour effet de choquer vivement le peuple. De ce fait, Louis XV cessa d’être appelé le « Bien-Aimé » et fut aussi détesté à sa mort que son arrière-grand-père, Louis XIV. On se souvient de la belle Louise O’ Murphy, immortalisée par une peinture lascive de Boucher. Les scènes libertines d’Antoine Watteau (1684-1721), de François Boucher (1703-70), Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), et la publication de livres entiers sur le libertinage, nous rappellent également cette période de débauche qui s’étendit jusqu’à la Révolution et nuisit énormément à la noblesse qui, jusque-là, agissait en toute impunité.

Tout le monde voulait se détendre et s’amuser après une si longue période d’austérité et d’hypocrisie. Le libertinage reprit de plus belle sous la Régence. Contrairement au temps de Théophile de Viau et du cabaret de la Fosse aux Lions, 3, rue du Pas de la Mule, les libertins n’avaient plus à craindre les menaces de l’Inquisition. Leur chef de file était après tout le Régent, Philippe d’Orléans, lui-même un libertin notoire qui menait la grande vie au Palais-Royal, lieu de rencontre d’un petit cercle de grands seigneurs libertins, baptisés par Philippe les « roués ».

Parmi les roués figurait le jeune duc de Richelieu (1696-1788), Louis François Armand de Vignerot du Plessis, arrière-petit-neveu du cardinal de Richelieu qui était le plus célèbre prisonnier que connût la Bastille. Marié de force à 15 ans à une fille du marquis de Noailles, plus âgée que lui, le duc de Fronsac, comme on l’appelait alors, délaissa sa femme Anne-Catherine qu’il trouvait trop laide. Son père, Armand Jean de Vignerot du Plessis (1629-1715) exigeait qu’on lui fasse un petit-fils. Non lui répondit le jeune duc de Fronsac. Ce rejet incita le vieux duc de Richelieu à obtenir contre lui, le 20 mai 1711, une lettre de cachet pour la Bastille avec pour instructions que son « épouse devra lui rendre régulièrement visite et qu’il ne sortira de la prison que lorsque celle-ci sera enceinte. »  Rien n’y fit, la grossesse tant attendue ne se réalisa pas. Le duc de Fronsac sortit finalement de la Bastille après 13 mois de détention. Son épouse, qui mourut sans enfants, avait fait pression sur le vieux duc pour qu’il relâche son fils.

Le duc de Fronsac connut un grand succès à la Cour par sa bonne mine, sa distinction et son esprit. En 1743, il fut nommé premier gentilhomme de la Chambre du Roi. Il avait été élu à l’Académie française à l’âge de 24 ans quoique sachant à peine l’orthographe. Il y avait été élu membre probablement parce que le cardinal de Richelieu avait fondé l’Académie en 1644. Il entra au Parlement un an après.

Le duc de Fronsac, qui prit le nom de duc de Richelieu après la mort de son père en 1715, ne se remaria qu’en 1734 avec Marie-Élisabeth-Sophie de Lorraine. Voltaire, son ami fidèle, aida à arranger le mariage avec la plus jeune fille de son vieil ami, le duc de Guise. Ils eurent deux enfants dont une fille, la comtesse d’Egmont (1740-73) qui tint un fameux salon fréquenté par Voltaire et Rousseau. Convaincue qu’il fallait restreindre le pouvoir de la monarchie, elle avait applaudi le coup d’état de Gustave III, en 1755, en Suède. L’ayant rencontré lors de sa visite à Paris, elle l’appelait le « héros de mon cœur » pour ses vues libérales. Un mécène extraordinaire qui avait été élevé à la française, il laissa derrière lui plusieurs palais et surtout un style tout de grâce appelé le style Gustavien, inspiré du style Louis XVI.

Le duc de Richelieu continua ses aventures amoureuses jusqu’à un âge avancé. Marie-Louise-Élisabeth d’Orléans, duchesse de Berry et Charlotte- Anglaé d’Orléans, filles du Régent et de son épouse, Mlle de Blois, et leur cousine comptaient parmi ses nombreuses conquêtes. Il se retrouva encore deux fois à la Bastille, en 1716, après un duel et en 1719, après avoir été impliqué dans la conspiration de Cellamare.

Considéré comme le plus immoral libertin de son temps, Choderlos de Laclos le choisit pour représenter le roué Valmont dans son roman Les Liaisons dangereuses (1782). Comme l’écrit Jean-Marie Rouart, « On dit que Choderlos de Laclos s’est inspiré de lui pour le personnage de Valmont. Mais Valmont apparaît comme un adolescent naïf et un sentimental en comparaison de ce corsaire de l’amour sans foi ni loi. Il aime les bourgeoises qui, elles, ne sont pas libertines ; il aime violenter leurs principes, vaincre leurs scrupules, attiser leurs remords. »

Si le duc de Richelieu avait acquis une mauvaise réputation en France à cause de son libertinage effréné, ce fut tout autre chose sur le plan militaire. Alors qu’à Fontenoy, le 11 mai 1745, Maurice de Saxe croyait la bataille perdue (« Messieurs les Anglais, tirez les premiers» ne fut pas une bonne idée), le duc de Richelieu tourna cette bataille en une victoire éclatante en  faisant appel à la garde du roi, une action risquée car elle laissait Louis XV, le Dauphin et son état-major sans protection. Et pourtant l’histoire n’a retenu que le maréchal de Saxe comme le grand vainqueur de cette bataille qui eut lieu durant la guerre de Succession d’Autriche (1740-48).

D’autre part, comme dans le cas de Louvois, l’auteur d’atrocités dans la Palatinat, l’histoire s’attache peu à ses pillages et à ses exactions dans le Brunswick et le Hanovre pendant la guerre de Succession d’Autriche qui lui valurent son rappel. Au début de la guerre de Sept Ans, sa prise de Minorque en juin 1756, une mission presque irraisonnée (il avait fait grimper ses hommes sur un escarpement que personne n’avait escaladé auparavant et qui rappelle la Pointe du Hoc lors du débarquement en Normandie en 1944) le rendit encore plus célèbre. C’est alors qu’on lui donna le sobriquet de Monsieur le Minorquin. Il reçut le bâton de maréchal en 1748. Sa contribution au siècle des Lumières fut la mayonnaise qu’il inventa en 1756.

Le duc de Richelieu avait acquis en 1729 un bel hôtel particulier, construit en 1661, au 16, quai de Béthune, dans l’île Saint-Louis (qui fait partie du Marais). Cet hôtel avait été réuni à l’hôtel voisin, au 18, quai de Béthune, en 1701. L’ensemble des 16 et 18, appartint au maréchal de Richelieu de 1729 à 1788, qui ne l’habita pas. Il mourut à Paris en 1788 à l’âge de 92 ans (son père avait 67 ans lorsqu’il nacquit en 1696).Veuf pour la seconde fois, il avait épousé, en 1780, une jeune veuve irlandaise. Comme le décrit Jacques Hillairet : « Le soir de son mariage, le maréchal de Richelieu conduisit la nouvelle duchesse dans son appartement privé, puis se retira dans le sien en lui faisant ce quatrain. »  

A minuit cachez-moi vos charmes
Je craindrai d’outrager l’amour.
Depuis que j’ai perdu ses armes
Mon bonheur finit avec le jour

Extrait de l’ouvrage de Bruno Rémy « Le Marais de Paris, Miroir des Lumières en France, XVIIe-XVIIIe siècles », nominé au Concours d’Histoire 2016 de l’Académie française. Points de vente dans le Marais : Librairie/Hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, tél. : 0144612175 et L’Association de Sauvegarde du Paris historique, 44, 46, rue François Miron, tel. : 0148877471. Pour d’aures points de vente, visiter le site web : brunoremy.com